Le mariage a une histoire, que raconte ce livre : simple contrat
privé entre deux familles dans le monde antique, il devient au Moyen Âge
un mariage-sacrement, monogamique et indissoluble, que régit l'Église.
La Réforme protestante porte une première atteinte à l'institution en
lui déniant son caractère sacramentel. Nouvelle secousse : la Révolution
française retire à l'Église son pouvoir de marier pour le confier à
l'autorité civile. Le code civil, enfin, se met en place, plusieurs fois
remanié au gré de l'évolution des moeurs : c'est en 1884 que la loi
Naquet autorise le divorce.
Cette histoire vivante, centrée sur la
France et l'Europe, croise les approches historique, juridique,
sociologique, littéraire et artistique et balaye beaucoup d'idées
reçues. Non, la crise du mariage ne date pas d'aujourd'hui : la Grèce et
la Rome antiques pénalisaient les célibataires pour les inciter à
convoler. Non, les familles recomposées ne sont pas une invention
moderne : les couples de l'Ancien Régime duraient en moyenne une
douzaine d'années, brisés par une mort précoce, et le veuf, ou la veuve,
refondait une famille. Oui, en 1904, fêtant l'anniversaire du code
civil, un député a proposé d'ajouter le mot " amour " aux devoirs
mutuels des époux – fidélité, secours, assistance !
Aujourd'hui,
l'émancipation des femmes, la libération sexuelle et les avancées
scientifiques en matière de procréation ont largement bouleversé les
données de cette " civilisation conjugale " mais l'institution a encore
de beaux jours devant elle.
Un
ouvrage remarquable, un des plus interessants que j'aie pu lire a ce
jour, et en plus y a du volume (1200 pages environ). Bon, le titre se
suffit a lui-meme, on va donc suivre l'evolution de l'institution qu'est
le mariage de l'Antiquite a nos jours, tout du moins dans le monde
europeen, meme si vers la fin on aura droit a trois courts chapitres sur
l'Inde, la Chine, et le Japon. Mais compare au reste, c'est tres
succint et on preferera des ouvrages specialises sur ces pays si on
desire en savoir plus.
Je cite une phrase de la conclusion:
"L'histoire du couple illustre une dissociation inexorable entre l'amour conjugal et l'eros, et les tentatives pour les reunir ont toujours echoue. Cette histoire est fortement inspiree par la vision chretienne de l'amour qui distingue l'amour de charite auquel appartient l'amour conjugal, et l'amour concupiscence qui fut condamne comme une maladie."
J'aime a rappeler que nous sommes souvent trop ethno-centres, et que ce que certains considerent comme "normal" est simplement culturel. Aujourd'hui, au XXIeme siecle, si je vous dis mariage vous allez tres vraisemblablement penser a un couple, a une union librement consentie entre deux etres (eventuellement de meme sexe) amoureux l'un de l'autre. Sauf que cette maniere de penser est a la fois extremement recente dans l'histoire de l'humanite, et que meme aujourd'hui elle ne concerne guere qu'une partie de l'Europe et du continent americain, bref c'est une minorite!! Le concept meme de mariage d'amour n'existe PAS dans de nombreuses regions du monde, et paraitrait meme incongru a certains. Ce qui ne veut pas dire que le sentiment amoureux est inconnu bien entendu, mais on a l'amour d'une part, et le mariage d'autre part, et ca n'a rien a voir. S'il y a de l'amour dans le mariage en plus c'est bien, mais cela n'a rien d'indispensable. Et c'est valable meme dans des pays riches non regis par la religion (genre certains pays arabes), je vais prendre un exemple tres simple: en Chine ou en Coree du Sud, demandez a une femme MEME qui gagne elle-meme tres bien sa vie si elle prefere epouser un homme riche mais pour qui elle n'eprouve qu'une simple amitie polie, ou un pauvre dont elle est folle a en crever, je pense sans me tromper qu'au bas mot 70 a 80% choisiront le premier sans hesiter.
Le mariage est avant tout une union de deux familles, dans laquelle les deux interesses n'ont pas leur mot a dire, leur partenaire ayant ete soigneusement choisi par leurs parents. Il n'est meme absolument pas rare que les deux maries ne se rencontrent que le jour meme de la ceremonie ou la veille... Attention toutefois a ne pas confondre "mariage arrange" (plus ou moins avec l'accord des maries) et "mariage force" (a sens unique, voir pas du tout!).
Evidemment, l'aspect juridique est traite, meme si on s'attarde surtout sur le cote social et ceremoniel. Toutefois, on se rend bien compte que des les debuts de l'institution, le mariage remplissait deux roles fondamentaux:
1/assurer
la reconnaissance de filiation. Seul un enfant issu de deux parents
maries (et citoyens libres) etait reconnu comme legitime, les autres
ayant moins, voire aucun droit. En France cela n'est plus valable, seule
compte desormais la filiation biologique. Mais par exemple, dans le
Japon de 2022, si les parents d'un enfant ne sont pas maries (ou pire,
si le pere est inconnu, ou s'est barre sans laisser d'adresse), tant que
le pere ne l'explicite pas dans son testament, le gamin n'aura pas
droit a l'heritage. Et dans le cas ou il a quitte le foyer, il n'a
aucune obligation de payer de pension alimentaire. On comprendra dans
ces conditions que rarissimes sont les Japonaises a accepter l'idee de
faire un gosse sans etre mariee!! Inversement, meme si le pere
biologique n'est pas le "vrai", l'enfant est juridiquement considere
comme celui de l'epoux.
2/autrefois, le mariage arrivait un peu comme un "pack tout en un" car avec lui on recevait d'un coup: le statut d'adulte, l'acces aux relations sexuelles (pour les femmes en tous cas, mais ca touchait pas mal d'hommes egalement), l'acces a la propriete (quitte a devoir vivre avec les parents du marie jusqu'a ce qu'ils decedent). De nos jours, le sexe arrive avant (voire bien avant...) et le mariage est souvent a la fin, parfois au bout de nombreuses annees de vie commune et avec des enfants deja nes.
Bien entendu selon les epoques et les civilisations il y eut d'importants changements mais dans l'ensemble, ces deux aspects sont essentiels.
L'ouvrage a ete redige par une quinzaine d'auteurs differents, pour la plupart universitaires, mais cela reste globalement assez homogene.
Je n'ai pas de defaut a relever, sauf peut-etre un tout petit bemol sur les deux derniers (courts) chapitres traitant du mariage dans la litterature et au cinema, plutot bofs et qui parleront sans doute avant tout a ceux ayant deja eu/lu les oeuvres dont il est fait question.
Bref, un tres bon bouquin (ca tombe bien, il est dans la collection Bouquins de Robert Laffont justement :) ) que je recommande si le sujet vous interesse un minimum.
"Histoire du mariage", sous la direction de Sabine Melchior-Bonnet et Catherine Salles, 2009
Sabine Melchior-Bonnet est historienne, ingénieur d'études au Collège de France et attachée à la chaire d'histoire moderne et contemporaine de Jean Delumeau (Histoire des mentalités dans l'Occident).
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