mercredi 15 décembre 2021

lecture: Le marché de la vidéo pour adultes au Japon: Enquête, de Damien D. Sato

Le marché de la vidéo pour adultes au Japon, l'un des multiples segments du commerce du sexe dans l'archipel, représente un business de plusieurs milliards de yens. Derrière les chiffres flatteurs de ce monde organisé avec une efficacité froide, où les starlettes préfabriquées côtoient d'obscures productions, vivent des hommes et des femmes pris dans une spirale de production effrénée d'un milieu qui reste en marge. Les coulisses de ce monde apprennent beaucoup plus sur les réalités du Japon actuel. Loin des rubriques des journaux qui fantasment un Japon dont la pornographie ne serait que l'une des « bizarreries », un journaliste français décrypte pour la première fois les coulisses d'un univers où se croisent l'argent, la gloire éphémère de certains et la misère affective et sociale des autres.  

Il y a longtemps que je voulais ecrire un article sur le X nippon, mais comme je n'aime pas faire ce que d'autres ont deja fait (en langue francophone s'entend), je vais vous parler d'un ouvrage sorti en 2020 que je viens de recevoir... et que j'ai integralement lu en une soiree (176 pages). 

Alors attention, destine a tous les publics, ce bouquin n'est pas la pour parler des films en eux-memes au niveau du contenu, mais bien plus et avant tout sous un angle economique d'une part et socioculturel d'autre part (les deux etant forcement lies). Il nous presente ainsi pas mal de chiffres, que je vais partiellement relayer juste apres.

Certes, les Etats-Unis sont et de loin le premier pays producteur de porno - une etude de 2013 l'estimait a 10 milliards de dollars annuels (9 milliards d'euros), et 89% de la production mondiale(!). Sauf que. Tout comme pour leur cinema ou series tele, les USA sont d'enormes exportateurs presque partout a travers le monde, alors qu'a l'oppose le Japon n'exporte pas son marche du X et se contente du marche interieur. Avec ceci bien en tete, on se rend compte que comparativement pour l'Archipel, c'est enorme.

L'industrie de la video pornographique au Japon represente (je convertis) 800 a 850 millions d'euros annuels (un dixieme du marche US donc).

Chaque annee sont produits entre 20 et 30000 films (non, il n'y a pas un zero de trop), fabriques par 150 studios (donc en gros 12 films par mois par studio mais attention, c'est tres disparate : on a de tres grosses boites qui en sortent plusieurs milliers, et des tous petits qui n'en realisent qu'une poignee); et le client nippon moyen depense dans les 140 euros (40 aux USA, aucun chiffre n'est connu pour la France). La plupart des studios se sont regroupes dans une sorte de grande structure nommee DMM lancee en 1999, qui vend non seulement des films pour adultes mais aussi des eroge ou des sex-toys. 15eme site le plus consulte au Japon il realise 650 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Comment font-ils pour produire autant et gagner autant d'argent? Ben y a pas de secret, les benefices par film sont tres reduits, donc il faut compenser en produisant enormement. Le budget moyen varie entre 8000 et 12000 euros par film (plus si l'actrice est une star), mais ne rapporte guere que 1000 a 2000 euros de benefices. On investit 8000 pour en recuperer 10000, soit pas grand chose.

Un film se tourne en deux jours en moyenne, donc un realisateur peut en faire une quinzaine par mois avec de la chance. Une actrice populaire se limitera a un ou deux films mensuels (il ne faut pas saturer), donc 4 jours de travail payes... ben c'est EXTREMEMENT variable. En debut de carriere autour de 800 euros par film, mais les actrices en haut du podium peuvent en toucher 15000... (Non, la encore, il n'y a pas un zero de trop). Bien entendu, une fille de popularite "moyenne" pourra enchainer 3 ou 4 films mensuels afin d'obtenir un revenu confortable. Elles peuvent egalement  faire un extra en envoyant des photos dedicacees a leurs fans, comme des idols de la chanson.

On estime a environ 6000 le nombre de nouvelles actrices chaque annee, la plupart quittant le metier au bout d'un an ou deux. Certaines resteront dans le milieu du show-biz mais l'ecrasante majorite retournera au statut employee de bureau ou plus tard femme au foyer. Ramene a la population feminine des 19-55 ans sur les dernieres decennies, cela represente 0,5% donc une femme sur 200 (certaines n'ayant tourne que dans un seul et unique film de leur vie), ca me semble relativement credible. 

Les hardeurs eux sont payes au lance-pierre, et on estime a moins d'une centaine ceux qui peuvent vraiment vivre uniquement de ce metier... Quelques dizaines d'hommes pour des milliers de femmes donc. Il faut avoir la forme! Un acteur "haut-de-gamme" gagne dans les 400 a 800 euros par film. Les seconds couteaux 170 a 250. Pour tous les autres, par exemple ceux qui participent a un bukkake, c'est une dizaine d'euros, autant dire du benevolat. Ils sont toujours payes en liquide a la fin du tournage (si je peux oser ce terme ici...) Attention, il y a une difference notable avec l'Occident, dans ce dernier cas on choisit souvent les acteurs pour leurs "mensurations" (ce qui m'a toujours paru une aberration, quel rapport??? Et puis dans un film hetero, un spectateur veut voir de la cha... et des boobs avant tout!). Au Japon on s'en fout (la plupart ont des tailles tout a fait normales), ce qu'on veut ce sont des "techniciens" et aussi des personnes qui comprennent tout de suite ce que veut le metteur en scene.

Un realisateur lui touche 4 a 6000 euros mensuels (ils sont en CDD avec la maison de production), c'est vraiment pas mal!


Le marche risque neanmoins de s'effondrer dans un futur plus ou moins proche, mais pas pour les memes raisons qu'en Occident. Le client japonais continue de payer et d'acheter des DVD porno, entre autres grace a la qualite du produit (compare a une majorite de films US, les japonais sont mieux realises, il y a de jolies jaquettes, on a une bonne qualite d'image, etc) mais... Une majorite de consommateurs sont deja des hommes d'un certain age, qui n'ont pas connu Internet dans leur jeunesse et ont toujours ete habitues a payer pour avoir du X. Il n'en va pas de meme pour les jeunes generations... sans compter le fait que de plus en plus de jeunes n'eprouvent aucune attirance pour le sexe. Etant peu probable qu'une majorite de papis de 70 ans ou plus continuent a acheter regulierement du porno, lorsque cette generation ne sera plus la, elle ne sera pas remplacee par la suivante, et ce sera un coup tellement dur pour l'industrie qu'elle pourrait ne pas s'en relever. Pour pallier a ce probleme, le futur semble se jouer dans le domaine de la realite virtuelle couplee a des "accessoires". L'auteur du livre envisage egalement de se tourner vers l'export a destination du marche chinois si celui-ci finit par accepter la pornographie (rigoureusement interdite pour l'instant, ne serait-ce que pour un simple roman!), mais ce n'est pas garanti, les Chinois risquant alors plutot de honteusement copier les videos japonaises mais avec des actrices locales...

Je pourrais continuer encore longtemps, mais mon but est uniquement de vous inciter a la lecture de cet ouvrage. On pourra lui reprocher de faire l'impasse sur quelques themes (celui des films homosexuels ou des anime X), mais dans l'ensemble il presente un panorama tres interessant sur la realite de ce marche.


"Le marché de la vidéo pour adultes au Japon: Enquête", de Damien D Sato, 2020
*Damien D. Sato est journaliste, reporter spécialiste des questions économiques et sociales au Japon.

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