Partir du présent pour juger le passé au lieu de le comprendre, voilà ce qu’est l’historiquement correct. L’histoire devient un écran où se projettent nos passions contemporaines, où l’on multiplie anachronismes et jugements de valeur. Ce livre entend remettre les pendules à l’heure en rappelant des faits oubliés ou dissimulés : la violence et l’intolérance également partagées au temps des guerres de Religion, la haine anticléricale des années 1900, pendant de l’antisémitisme, ou encore l’extrême complexité de la France des années 1940 ou de la guerre d’Algérie. On verra ainsi que le mal n’est pas toujours où l’on dit, le bien pas toujours où l’on croit.
Des le depart, l'auteur ne cache clairement pas qu'il est de droite - ce qui n'est absolument pas un probleme en soi - j'avais juste un peu peur que cela oriente le discours du bouquin. Bon, on a bien 2-3 piques occasionnelles mais dans l'ensemble il reussit tout de meme a rester assez neutre en se contentant d'enoncer les faits, ce qui est ce que j'attends d'un livre d'histoire.
Avant de l'acheter, je pensais plutot qu'on allait avoir des revelations sur des verites historiques peu ou pas connues, mais ce n'est que tres partiellement le cas. On pourrait resumer assez simplement l'axe central de l'ouvrage avec une phrase que je partage totalement, a savoir qu'on ne peut pas juger le passe avec des valeurs morales actuelles. Evidemment que de nos jours l'esclavage ou la colonisation forcee seraient impensables. Imagine t-on encore amener des enfants assister a une execution publique? (enfin, ce serait difficile suite a l'abolition de la peine de mort)
C'est la difference entre histoire et memoire. L'Histoire raisonne, explique, analyse. La memoire repose sur les sentiments, avec ce que cela peut avoir de subjectif (...) Il faut savoir, et c'est le role de l'histoire. Il faut se souvenir, et c'est le role de la memoire (mais) la memoire risque de s'eriger en tribunal perpetuel. Or la culpabilite n'est ni collective ni hereditaire, pas plus que le statut de victime, qui est un etat personnel et viager.
La culture, l'environnement conditionnent totalement l'univers mental d'un individu. Cela n'aurait par exemple aucun sens de parler de laicite, de liberte de conscience ou de religion, dans une societe ou TOUT est regi par la chretiente, et ou 99,99% de la population est croyante (et les 0,01% restants ont tout interet a ne pas le montrer, au risque de finir sur le bucher).
Nos ancetres n'etaient pas plus debiles que nous, c'est juste qu'ils vivaient dans un monde obeissant a d'autres criteres. Meme les grands principes de la Revolution ne sont clairement pas a prendre au pied de la lettre. Quand la Declaration des Droits de l'Homme disait "tous les hommes naissent libres et egaux", dans la tete des contemporains il fallait plutot comprendre hommes comme "individus de sexe masculin et de race blanche". Un homme asiatique ou une femme noire qui auraient reclame les memes droits se seraient probablement vus ris au nez...
Mais ce que "Historiquement correct" s'attarde a developper, outre un resume concis mais precis de certains evenements de l'histoire de France en 18 chapitres (allant du Moyen Age aux annees 60), c'est que meme d'un point de vue politique, certaines idees recues vont voler en eclats. Alors qu'on associe generalement la gauche a une certaine forme de progres et la droite au contraire a un certain conservatisme, on se rend compte qu'au moins jusqu'a la Guerre d'Algerie (donc en gros il y a un demi-siecle), bien plus d'une fois les roles se sont retrouves inverses. Un exemple? Qui a en premier pris la defense des milieux ouvriers fin du XIXeme? Des associations catholiques, donc de droite. Ou bien encore qui declarait "Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures »? Jules Ferry, un homme de gauche donc.
Pourquoi stigmatiser la Saint-Barthelemy sans denoncer l'intolerance des huguenots? Comment critiquer l'arbitraire royal en omettant que la Revolution n'a jamais reconnu le droit au desaccord politique? Pourquoi taire que tous les resistants n'etaient pas de gauche et que tous les collaborateurs n'etaient pas de droite?
Tout n'est pas tout blanc ou tout noir, et ce livre risque d'ebranler certaines convictions pourtant partiellement voire totalement erronees. Maintenant, n'est-ce pas aussi le point faible de l'ouvrage? Certaines critiques ont en effet considere qu'il embelissait parfois un peu trop le "roman national". N'etant pas historien de formation et ne voulant nullement me lancer dans des debats politiques, je me garderai bien d'exprimer une quelconque opinion a ce sujet. Dans l'ensemble, la lecture est tres agreable, avec des explications claires et detaillees sans que cela soit rebutant. A lire.
"Historiquement correct", Jean Sevillia, 2003 (reactualise en 2013)
Journaliste, essayiste et historien, Jean Sevillia est chroniqueur au Figaro Magazine et membre du conseil scientifique du Figaro Histoire
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